Son regard se perdait sur ces belles demeures, celles dont des rideaux de soie légère volaient par les larges fenêtres ouvertes. Tout paraissait propre, beau, lisse chez ces gens-là. Ils descendaient les escaliers le menton haut, le cou droit, la moue à peine assez étirée pour y apercevoir une émotion. Ils étaient des poupées de cire géantes, l’effigie d’une humanité sans âme. Pourtant, Onyx les enviait. Pas pour leurs objets de valeur, pas non plus pour leurs journées d’oisiveté totale où ils n’avaient à se préoccuper que de qui ils épouseraient ou avec qui ils tromperaient leur époux ou épouse. Non, ce qu’il leur enviait si fort, c’était leur confort.
- Avance, Onyx.
La voix rauque et dure de son père l’extirpa de ses pensées. Ses yeux se détournèrent des demeures riches pour en revenir à cette charrette qu’il poussait et que son géniteur trainait. Onyx n’était qu’un fils d’ouvrier, de la main d’œuvre aux yeux de tous les gens de Noiront qui ne voyaient en lui que le futur ouvrir qu’il serait. Chercher un coupable pour cette position peu enviable dans laquelle il était ne servirait à rien, Onyx n’avait pas encore l’âge du refus. Il obéissait à ses parents, se contentait de proclamer qu’un jour lui aussi exercerait ce métier qu’il détestait. Sauf qu’au fond de lui, il savait déjà que c’était faux.
Et chaque soir, alors qu’il rêvait de couche confortable, de draps soyeux, d’oreillers tendres et moelleux, Onyx se couchait sur sa paillasse, des brins de paille lui chatouillant la peau du dos en passant par les trous mal recousus. Ses parents n’avaient pas grand-chose à lui offrir, ni à lui ni à son frère mais ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour les maintenir en vie. Techniquement, c’était déjà beaucoup ! Onyx savait qu’il ne devait pas leur en vouloir ou les prendre pour responsables, ce couple d’artisans ouvriers faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les mener là où ils le pouvaient. Le seul problème, c’est que ça ne suffisait pas à Onyx.
Un rire, quelques filets de sang sortant de sa bouche. Onyx releva la tête, observant ses bourreaux d’un regard provocateur. Ceux-ci allaient le mettre en pièces, cela faisait déjà vingt minutes qu’ils le tabassaient et presque tout son corps était douloureux. Pourtant, abandonner, chialer comme un enfant ou leur montrer qu’ils avaient le dessus l’aurait rendu malade. Onyx préférait encaisser les coups plutôt que de reconnaître qu’il avait mal et que ces tronches de molochs se sentent fiers de leur accomplissement. Soudain, quelqu’un siffla. Onyx fut surpris de discerner une demoiselle, elle se tenait devant eux et souriait à pleines dents. Sa beauté était assez perturbante, elle avait un visage rond, doux et beau. Deux grands yeux clairs, une bouche parfaitement dessinée, une taille fine et une poitrine généreuse juste comme il faut. Sous sa robe pâle, on pouvait presque deviner son corps agile à la peau pâle.
- Ce n’est pas très gentil de s’attaquer à quatre contre un !
Les bourreaux furent pris de court, ils ne pensaient pas être interrompus et encore moins par une beauté. L’un d’eux se dirigea vers elle, souriant et prêt à lui faire croire qu’ils ne faisaient rien de mal mais à peine fut-il à portée de main qu’elle sortait un objet sombre, lui assénait un magistral coup de pied entre les cuisses et le frappait au visage avec l’outil qui devait être une sorte de marteau. Les trois autres poussèrent des exclamations de surprise tandis que cette rouquine au sourire angélique lâcha un « oops » presque innocent.
Une seconde plus tard, les trois autres hommes se tournaient vers la femme, serrant les poings. Onyx trouva juste assez de force pour se redresser sur les bras et mordre à pleines dents le mollet de l’un d’eux qui se mit à hurler et qui lui asséna un coup de talon dans la gorge qui lui coupa la respiration. Ils avancèrent, la fille ne bougeait pas. Pourquoi ne fuyait-elle pas ? Onyx se tenait la gorge à deux mains, cherchant difficilement l’air. Soudain, apparaissant comme par magie, d’autres individus émergèrent du décor. Certains sortirent de l’ombre d’un pan de mur, d’autres jaillirent de tonneau tandis que les derniers semblaient tomber des toits. Les trois hommes furent magnifiquement battus, recevant une correction dont ils mettraient du temps à se relever.
- T’as de la chance qu’on soit passé par là gamin !
Onyx sentit des bras le soulever et l’emmener. Le début de son histoire au sein du cirque itinérant débutait seulement...
Ses doigts sur son torse, parcourant sa peau avec tendresse et envie. Ses longs cheveux blonds, parsemant le lit. Onyx tourna la tête, esquissa un sourire. Il avait déjà oublié son nom mais son regard par contre, il ne l’oublierait pas aussi vite. L’acrobate tendit le bras, captura son visage et vint l’embrasser avec douceur. La belle se laissa faire, elle l’attirait déjà contre elle quand un bruit se fit entendre dans le couloir. Son père ? Son mari ? Son frère ? Qu’importe, Onyx savait que ça serait forcément une mauvaise nouvelle rien qu’à voir le regard de la demoiselle. Aussitôt, il sauta hors du lit et attrapa ses vêtements. Il adressa un dernier clin d’œil complice à sa conquête et sauta par la fenêtre.
Nu comme un vers, Onyx atterrit devant la maison. Les passants pouffèrent, certains admirèrent l’anatomie du jeune homme tandis que d’autres détournèrent le regard rapidement, trop prudes pour supporter le spectacle. L’acrobate s’empressa de se glisser dans une ruelle adjacente où il enfila ses vêtements à la hâte. Il courut ensuite rejoindre ses amis du cirque, ceux-ci l’accueillirent en soupirant profondément, il reçut même une tape derrière la tête tel le gamin réprimandé par son père.
- Tu t’es encore volatilisé avec une belle petite bourgeoise ! Tu vas finir par te faire tuer un jour, Onyx.
Tous les autres acquiescèrent péniblement. Onyx haussa les épaules, ce n’était pas de sa faute ! Il était envieux. Envieux de leur luxe, de leur confort, de leur vie si tranquille. Donc quand il voyait une belle créature prête à l’accueillir dans ses draps soyeux le temps d’une douce nuit, il sautait sur l’occasion ! C’était comme ça, on ne le changerait pas. Mais il était évident qu’un jour ou l’autre, cela causerait sa perte ...
✻ Parchemins : 31
✻ Pièces d'or : 66
✻ Localisation : Nobleval, Rosan